Les récits de vie et les portraits

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Les acteurs du projet

Viviane et Madame C.

Nous avons écouté deux personnes différentes qui nous ont fait part de leurs points de vue, de leurs idées ainsi que de leurs souvenirs. Quelques idées générales sont parfois identiques malgré deux vies différentes mais elles n’étaient pas entièrement d’accord sur tout car elles n’ont pas vécu l’histoire (les guerres, les souffrances…) de la même façon.

Viviane

Première personne : Elle s’appelle Viviane, elle rentrera dans sa quatre-vingt-septième année le mois prochain. Elle est d’origine algérienne de quatre générations de pieds-noirs. Elle est née pendant la première guerre mondiale en 1915. Elle a vécu un moment en Algérie dans le village où toute sa famille a vécu et où ses filles sont nées. Elle s’est mariée à l’âge de vingt-quatre ans ; son mari est un militaire. Il était déjà engagé dans l’armée pendant la guerre de Syrie, elle se rappelle les difficultés qu’elle a rencontrées pour qu’ils puissent se marier alors qu’il était en Syrie. Elle dit avoir beaucoup voyagé en suivant son mari (elle parle notamment de Madagascar). Son mari est décédé, et elle vit aujourd’hui toute seule en banlieue toulousaine. Nous n’avons pas toujours partagé les mêmes idées qu’elle. Nous lui avons posé quelques questions sur des sujets divers. Le premier thème abordé a été la vie sociale pendant sa jeunesse. Cela fait environ soixante ans qu’elle a quitté l’école et pourtant les souvenirs lui reviennent rapidement et parfaitement clairs et précis ! Elle dit que l’école était fondée sur la morale. Les élèves devaient saluer leurs professeurs avant de rentrer en classe. Le cartable toujours près de la table et ne jamais s’asseoir avant que le professeur ne le dise sont les premières règles dont elle se souvient. Elle nous a raconté qu’un jour en cherchant quelque chose dans son cartable, elle fit tomber sa règle par terre et fut punie parce qu’elle avait perturbé la classe. Ce geste d’inattention lui a coûté la copie de verbes. Aucun chuchotement n’était toléré à l’intérieur des cours. Leur journée de repos n’était pas le mercredi comme de nos jours mais le jeudi ; le samedi matin, elle se souvient que c’était réservé aux activités de chants et l’après-midi pour les filles, c’était la couture, et pour les garçons le dessin. Elle n’était pas notée par des chiffres mais par des appréciations : Très bien, Bien et Passable, environ tous les mois. Étant la plus ancienne de sa classe, elle se souvient qu’elle devait remplir les encriers de tous les élèves et effacer le tableau. Aucun professeur ne tutoyait les élèves. De plus, les vacances n’étaient pas réparties de la même façon et étaient moins nombreuses ; par exemple pour Noël, si ce jour-là tombait un dimanche, ils n’avaient pas de jour de vacances, s’il tombait un jour de cours, ils n’avaient que ce jour-là de repos. Après, elle nous a expliqué que pendant son enfance, les supermarchés étaient inexistants, qu’à l’époque, il n’y avait que des petites épiceries, un boucher, un boulanger ; Plusieurs petits commerces offraient leurs services aux habitants. De plus, elle nous a décrit un marché qui avait lieu une fois par semaine. Elle se rappelle tout acheter dans ce grand marché. Quand nous lui avons parlé de commerces, elle s’est rappelée la monnaie présente dans ces années-là. Elle parla de pièces trouées appelées « sous », elle se souvient même de la valeur de ces pièces en nous expliquant que pour vingt sous, elle achetait un pain. Nous avons ensuite abordé le deuxième thème des progrès techniques. Elle trouve bien sûr que l’électroménager a changé la vie à l’intérieur des foyers car il y a moins de travail domestique mais, dit-elle : « Rien ne remplace le travail à la main même s’il est pénible ». Elle voudrait que les femmes travaillent moins dans les entreprises et plus à la maison… Elle décrit la vie au quotidien : elle lavait le linge une fois par mois à l’aide de cristaux de soude. Le lavage s’effectuait à la main dans les rivières ou dans les lavoirs, à genoux. N’ayant pas d’électricité, la cuisine se faisait au charbon de bois. Après la seconde guerre mondiale, le pétrole arriva dans les foyers. En abordant ce sujet, nous avons été amenées à poser des questions sur la télévision et la communication. Elle ne s’est pas trop étendue sur le sujet car elle dit ne pas trop s’adapter au modernisme. Elle pense simplement que beaucoup trop de personnes privilégient la télévision aux discussions de famille. Elle affirme que la télé tue la communication. Le thème traité ensuite fut celui du domaine médical et des progrès effectués. Au début, elle raconta que les docteurs n’existaient pas, ainsi que la Sécurité Sociale, même pour les femmes enceintes, il n’y avait pas de docteur. Les docteurs arrivèrent plus tard, elle prétend pourtant ne pas avoir consulté de médecin durant toute sa vie. Elle avoue faire appel à un docteur maintenant car elle est âgée et sa santé est fragile. Elle raconte qu’avant, les gens ne voulaient pas aller à l’hôpital car ils disaient qu’ils n’en ressortiraient plus. Elle a eu ses enfants chez elle ; elle n’a pas été en clinique et dit se soigner par des recettes de grand-mère comme par exemple en remplacement d’une crème anti-brûlure, elle battait de l’huile d’arachide. Elle se souvient à ce sujet d’une petite anecdote : « Un jour, mon père était malade et il a fait venir le médecin. C’était très rare ! Lorsque le docteur lui demanda où il avait mal, mon père répondit : « écoutez, lorsqu’un cheval est malade, on appelle un vétérinaire ! Et lorsqu’il arrive, le vétérinaire tape sur plusieurs endroits du cheval pour déterminer d’où vient la douleur, alors, vous n’avez qu’à faire pareil ! ! !… » » Elle précisa que le médecin ne voulut plus jamais soigner sa famille. Le dernier thème est souvent douloureux à se remémorer et dur à en parler, pourtant ce thème a très vite été abordé, c’est celui de la guerre. Elle nous a d’abord parlé de ses souvenirs sur la manière de vivre pendant la guerre. Elle avait vingt-cinq ans, elle dit voir souffert de cette guerre car mentalement voir partir toute sa famille ainsi que de dures conditions de vie marquent à jamais l’esprit de tous ces gens. Elle se rappelle que les rations de nourriture étaient restreintes pour les civils ; mais étant mariée à un militaire, elle avait droit d’aller à la caserne militaire pour prendre les rations qui étaient beaucoup plus importantes que celles des civils qui n’avaient pas droit à ces traitements de faveur (environ un kilo de viande). Elle se souvient également avoir droit à un quart d’huile plus un demi litre de lait multiplié par le nombre d’enfants au foyer. Elle se rappelle qu’un jour sa petite sœur avait fait tomber sa sucette par terre, malheureusement c’était juste avant le couvre-feu. Son père ne la retrouva pas tout de suite et dut cacher la lumière pour ne pas que les soldats allemands ne voient de la lumière car si les militaires allemands apercevaient la moindre lumière dans une maison après le couvre-feu, ils tiraient à travers les maisons pour fusiller les habitants… Puis, nous lui avons demandé comment elle avait réagi à la fin de la guerre, et quels sentiments elle avait ressentis. Mais elle n’a pas trop parlé à ce sujet car toutes les personnes de sa famille qui sont parties à la guerre sont toutes revenues. Beaucoup s’étaient dispersées et cachées. Donc, elle n’a pas souffert de la perte d’un être cher pendant la guerre. Elle a voulu donner ses opinions, nous montrer ses idées, elle déclara alors : « Les Algériens m’ont foutue dehors et vous croyez que je vais les embrasser ? Qu’ils crèvent tous ! ! ! Tous, il faut qu’ils crèvent même les dernières générations. Ce sont des diables ! Ce sont eux qui mettent la panique partout ! ! !… » Elle finit par cette phrase : « J’ai vidé mon sac ! »

Madame C.

Deuxième personne : c’est une autre dame. Elle a soixante-douze ans, elle vient de la Charente. Elle est plus jeune que la première personne. Elle est mariée à un militaire de carrière et est également maman de militaires. Elle a quatre fils dont un kinésithérapeute dans l’armée et un autre dans la gendarmerie. Durant sa vie, elle a été souvent toute seule à cause des voyages de son mari. Elle ne l’a pas suivi pour des motifs de santé. Son mari a été en Indochine puis en A.F.N. (Afrique Française du Nord). Son mari est décédé, à présent elle vit seule mais toujours accompagnée de ses enfants ou petits-enfants qui lui permettent de rester jeune et ouverte. Nous lui avons posé les mêmes questions qu’à la personne précédente, nous rappelons le premier thème qui était la vie sociale pendant sa jeunesse. Pour elle aussi, la politesse et la morale régnaient en maître dans l’école. Il fallait avoir le certificat d’étude pour rentrer en 6°. Elle se souvient qu’il fallait enlever les sabots à l’entrée des écoles. De plus, avant de rentrer en cours les professeurs faisaient l’inspection des mains, vérifiaient la propreté des oreilles et celle de la tête. Un élève ayant des poux était exclu de l’établissement jusqu’à ce que les lentes soient complètement parties. Les disputes avec les professeurs étaient très rares voire inexistantes car les élèves n’osaient rien dire… Les cours étaient mélangés, filles et garçons ensemble, par contre pendant les récréations, ils étaient séparés dans deux cours différentes… Elle nous avoua qu’elle était très turbulente et nous raconta une petite histoire de son enfance : « j’avais attrapé dans la cour un petit hanneton et je n’avais rien trouvé de mieux à faire que de le mettre dans mon encrier. Je ne sais pas qui m’a dénoncée mais en tout cas, j’ai eu droit à une punition ». Nous avons également abordé le thème traitant les progrès techniques. Elle trouve que les progrès, c’est bien car cela lui permet de s’occuper et surtout de moins se fatiguer à tout faire à la main. De plus, elle se rappelle lorsqu’elle était jeune, quand elle cuisinait et quand elle fabriquait du savon à base de soude caustique et de chair de bœuf. Elle se souvient également d’un moment de rangement : « Je vois maman arriver dans ma chambre, elle était très forte mais très dure et me disait : « Tu ranges ta chambre ! » Elle enlevait une épingle de ses cheveux et la tendait pour récurer les joins du carrelage à quatre pattes ! … » Ensuite, nous lui avons demandé ce que la télévision lui a apporté et ce qu’elle pense de l’évolution de la télé depuis son apparition jusqu’à aujourd’hui. Elle aime bien la télé mais elle dit qu’elle regrette un peu car pour elle la télé coupe toutes les communications dans les familles. Malgré tout cela, c’est une personne qui essaie de s’intégrer au monde moderne et s’adapte très bien puisqu’elle possède un portable et va quelquefois sur Internet. Nous avons ensuite continué notre discussion sur les progrès mais dans le domaine médical. Elle souhaite souligner que la médecine a fait de gros progrès mais que dans certains domaines, il y a encore des manques. Elle explique qu’avant, lors d’une grossesse, la maman n’avait que deux visites, au troisième et au sixième mois de la grossesse. Elle nous a dit qu’elle a mis 17h pour mettre au monde son enfant, car la péridurale n’existait pas. Elle a tellement souffert qu’elle a fait le choix de mettre au monde ses trois autres enfants chez elle. Elle raconte également une petite anecdote : « Ma mère n’a pas pensé à moi quand j’allais me mettre en maillot ! Car elle m’a fait trois vaccins à la cuisse, qui depuis que je suis petite, ont grandi avec moi. Maintenant j’ai trois taches, mais, bon, ça ne m’empêche pas de me mettre en maillot et en short l’été… ». Le dernier thème et donc comme pour la personne précédente : la guerre. Elle avait quinze ans et elle était enfermée dans la ville de Royan par les Allemands. Elle se souvient que les Allemands bombardaient le village et les habitants allaient se réfugier dans des grottes. Elle y a vécu un moment. Elle a franchi les lignes allemandes puis la barrière française. Elle se rappelle des restrictions alimentaires. C’était 50 kg de viande par semaine et encore suivant l’âge. Les habitants avaient des tickets de restriction identifiés par des lettres différentes : E pour un enfant, J1, J2, J3 pour les jeunes, A pour les adultes. Elle dit en parlant des Allemands : « On devait leur donner des œufs, aux Allemands, et si on n’en avait pas assez, on devait les pondre toutes seules… » Elle parle de ses sentiments à la fin de la guerre et dit : « mes sentiments étaient mitigés, il y avait du soulagement car nous n’avions plus de restrictions, plus de couvre-feu (22h-6h du matin). Mais ce que je pense, c’est que Hitler n’est pas quelqu’un de respectable et malheureusement il y en a d’autres comme lui ! ! ! » Elle nous fait part de ses souvenirs de la guerre en nous racontant deux petites histoires. Il y a deux personnes qui l’ont beaucoup touchée, ce sont son frère et son beau-frère. Tout d’abord son beau-frère : il faisait partie de la résistance et se chargeait de ravitailler les maquisards en armes. Elle avait un vélo dont les poignées étaient en bois. Son beau-frère mettait des messages dans le guidon de son vélo pour que d’autres personnes puissent venir les chercher. Elle a transmis plusieurs messages sans jamais savoir qu’elle permettait d’établir une liaison. Ensuite, il y a son frère qui, lorsqu’elle avait six ans, est parti, car il était militaire de carrière. Pendant le déclenchement de la guerre, il était à Djibouti et fut gardé par les Italiens. Elle, à l’aide de sa mère, demandait des nouvelles en passant par la Croix Rouge, etc… Mais aucun signalement ! Puis, en 1946, neuf ans plus tard, quelqu’un sonne chez elle ! Elle va ouvrir et dit à sa mère que l’homme qui était à la porte ressemblait énormément à son père… Elle comprit quelques minutes après que c’était son frère ! ! !

Emeline Najet Christelle Alexia